Année : 2017 Durée : 5'30"

Texte : Christian Doumet

Genre : Mélodie accompagnée

Effectif : pour voix baryton et ensemble instrumental : flûte, hautbois, clarinette, cor, basson, percussion, deux violons, alto, violoncelle, contrebasse

Détails : Oeuvre composée à la demande de Dietrich Henschel pour un concert de Noël.

Création le 7 Décembre 2019, Konzerthaus, Berlin (Allemagne)
par Dietrich Henschel et l'Ensemble Unitedberlin


Édition : Babelscores Contemporary Music Online

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Soixante et quelques mains pour la Nativité
mélodie pour voix de baryton et ensemble instrumental

Notice :

J'ai commencé par chercher, en vain, un texte qui aurait trait à Noël.
Je voulais un texte français puisque Dietrich Henschel a demandé à des compositeurs d'origines diverses d'écrire pour lui et j'ai pensé que chacun écrirait dans sa langue...
Je ne trouvais rien de satisfaisant, car les rares bons textes français parlant de Noël ont déjà été mis en musique, et les autres sont trop bêtifiants.
Noël est la fête de la nativité. Cela m'a donné l'idée de me tourner vers la peinture.
J'admire depuis longtemps la Nativité peinte par Hugo van der Gœs que l'on connait sous le nom de Triptyque Portinari.

Ce qui a tout d'abord attiré mon attention dans cette œuvre, c'est l'inversion des perspectives: les bergers du second plan sont beaucoup plus grands que les anges du premier plan.
Il y a d'ailleurs une profusion d'anges tristes à tous les étages de la toile...
J'admire aussi la ligne de fuite et l'enchaînement des différents plans jusqu'au fond du paysage.
Il se dégage cependant une certaine angoisse qui semble annoncer le malheur que cette naissance va produire.
Un Jésus, minuscule, tout nu posé sur le sol, malingre, n'inspire pas un sentiment de félicité...
On sent peser sur la Vierge une lourde tristesse.
Les donateurs sont austères et la présence de Saint Thomas et de Saint Antoine ne porte pas à l'allégresse.
Hugo van der Gœs (inconsciemment sans doute) nous prévient du danger auquel les religions exposent le genre humain.

J'ai signalé cette toile à Christian Doumet - poète et ami - avec qui j'ai souvent collaboré avec bonheur (Nouvelles du monde après, Fable de la mort et du boxeur, La Donation du monde).
Il n'a pas vu les mêmes choses que moi dans le triptyque de van der Gœs. Il a évoqué le secret d'une Marie-Madeleine - enceinte peut-être - qui tient fermé un vase d'onguent, mais surtout il a été fasciné par le nombre et la diversité des mains de tous les protagonistes.

Ces mains qui façonnent le monde, en bien et en mal.
Il en est résulté un texte étrange, mais fort, que j'ai eu envie de mettre en musique.

Le poème de Christian Doumet

Façonné, monde, déjà si vieux tandis qu'à même la terre, repose le nouveau-né de l'an zéro

Façonné au labour par trois figures de paysans harassées de saisons et d'outils,
mains ouvragées, percluses, dépareillées
et qui voudraient saisir et donner d'un même geste
mais ne savent...

Façonné, monde, bric et broc, et Joseph lui aussi vieux de ses deux mains sombres
inconciliables et nouées comme les veines du cèdre

Et façonné, monde, entre les mains d'une femme qui tient le livre ouvert
sans avoir besoin de le lire,
d'une autre qui tient fermés le vase et le secret

Celles de Thomas qui tient la lance et sait la suite
Celles d'Antoine qui l'ignore et s'agrippe à sa clochette

Les mains des anges qui ne façonnent rien mais indiquent,
indiquent sans se lasser le haut, le bas, le centre, encore le haut

Façonné, monde, déjà soixante et quelques mains pour la Nativité,
caleuses ou ingénues, curieuses du toucher, sourdes, balbutiantes,
désireuses et savantes à leur façon

Mais au centre plus désemparées que toutes, et vides, et vides,

Les deux mains de la mère
la mère penchée comme une tour
dans sa robe bleu nuit.