Année : 2002 Durée : 11'

Texte : Poème de Christian Doumet

Genre : Chœurs d'enfants

Effectif : chœur d'enfants (maîtrise, avec petites interventions de clarinette, violon, xylophone

Détails : Commande de la Maîtrise de Chartres pour son dixième anniversaire
Création le 6 juin 2003 en l'Eglise Saint-Agnan de Chartres, dir. Philippe Frémont


Édition : Alphonse Leduc

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Fable de la Mort et du boxe(u)r


Notice :

J'ai beaucoup ri en composant cette œuvre sur le texte plein d'humour que m'a proposé Christian Doumet: l'image qui se présentait à moi était le personnage de Calamity Jane, brandissant la faux de la mort telle qu'elle fut dessinée par Morris dans les albums de Lucky Luke réalisés avec Goscinny...
C'est pourquoi je fus très étonnée que, lors de la création, à Chartres, le curé exprimât sa colère devant ce texte ignoble... Il n'avait rien compris!

Le texte

Jadis, dans les outils du musicien, il arrivait qu'on trouve un homme.
Jamais entier: tête par-ci mal distincte du cuivre; par-là, jambe, cou, phalange, à peine dépassant des bois.
Mais suffisait d'extraire, rapiécer, bricoler
Et hop! hop! hop!
Des fanfares, des kiosques
S'échappait un petit peuple de lascars recousus tout heureux de droper sur la terre.

On jouait "Marche" et ils marchaient
On jouait "Fugue" et ils fuyaient toujours plus loin
Ah! hommes petits, boisés, cuivrés
Hommes et femmes sonnés, ennivrés, titubants de l'alcool des cymbales!
On raboutait des membres, et va-t'en la musique !

Un jour, comme ça,
Un retraité boxeur et son boxer de chien
Juste évadés de leur tuba
Quittant sitôt la scène à quatre pattes par discrétion
(sauf le molosse)
chien à pistons, homme rutilant :
ça, ils savaient: au moindre mot c'était le couac
et ils se tenaient cois.

On a vécu, faubourgs paisibles, des années de paix, de guerre, petit commerce cahin-caha le géranium et le mâchefer
Ainsi vieillirent, un cabas à la main, le boxeur, son boxer
Qui finissaient par se confondre comme deux couchers de soleil.
Un soir, un soir qu'ils fumaient sur le seuil sans parler
La Mort fut là
- C'est, dit-elle, pour la répétition.
Bras d'ssus, bras d'ssous, par les boul'vards s'en furent
Le boxeur fatigué, le boxer arthritique et la Mort enthousiaste
Ils s'en furent jusqu'au kiosque
Ou l'orphéon les attendait
(Collègues tous évadés de l'ancienne clique, tous chenus et leurs chienchiens

- Répétez, fit la Mort !
Elle tenait la baguette
Triple fugue, contre-sujet, quadruples croches,
L'œuvre était plus savante que les instrumentistes
Peine, boxeur! Peine, boxer ! Et tous les autres, peine!
- Haro, criait la Mort sur l'ignoble raffut, et maintenant, reprise !
D'une main elle tenait la baguette, de l'autre un révolver
- Musique, ou je tire! (son canon vers l'orchestre)

Va, monde! va ton charivari
Les chiens qui chantent avec la gouaille
Comme elle est brève la mémoire !
Oubliés, l'éveil lointain dans les clairons, le battement des anches, les fagotts, les timbales !
- Je vous ai tous appelés, scandait la Mort, tous appelés à disparaître.
Baguette levée, pétoire à bout portant
- Tant qu'elle dirige, elle ne tire pas. Jouons, jouons toujours...
Et d'autres chuchotaient, plus belliqueux:
Boxeur, boxer, boxe la Mort !
Mais le boxeur avait vieilli. Ne se sentait plus de boxer, ni le boxer de mordre.

Ils jouèrent.
Ils jouèrent si longtemps qu'à force, retournés aux instruments, redevenus les instruments eux-mêmes - cuivre, bois, tuba...
Tuba mirum, chantaient le boxeur et son chien
Tuba mirum, reprenait l'orphéon
Tuba mirum qui délecte la Mort.
Elle voyait ça, la Mort, elle entendait de son tympan de Mort
Et lorsque tous ils eurent regagné la matière
Qu'ils furent remmaillotés aux cuivres, aux bois, aux cordes, quand désarticulés jambes et mains, il furent dedans
Elle jugea de son œuvre : et elle les envia.

C'est ainsi qu'aujourd'hui, dans les outils on trouve un homme
Cependant qu'à l'oreille de la Mort, lève la faible, lointaine plainte
De son accord avec le musicien, l'interminable nostalgie.