Année : 1998 Durée : 13'

Texte : Poème de Christian Doumet

Genre : Mélodie accompagnée

Effectif : pour mezzo-soprano et baryton
flûte, clarinette, piano, violoncelle, percussion


Détails : Commande de Radio-France
Création et diffusion sur France-Musique du 18 au 22 Janvier 1999
Maryseult Wieszoreck mezzo et Jacques Bona baryton
Ensemble Instrumental du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris


Édition : Alphonse Leduc

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Nouvelles du monde après


Notice :

Afin d'honorer une commande de Radio-France pour les émissions "Alla breve" il s'agissait d'écrire une œuvre comprenant cinq petites pièces de deux minutes chacune, susceptibles d'être écoutées soit indépendamment les unes des autres, soit enchaînées d'un seul tenant.
Cette proposition m'a intéressée car c'était une incitation à un travail sur la forme, préoccupation qui m'a toujours été familière: je devais trouver une forme qui soit cohérente aussi bien dans ses différentes parties que dans son ensemble. Par ailleurs, je voulais trouver des interactions et des inter-réactions entre les micro-formes et la forme globale de l'œuvre.
Le choix de la formation instrumentale était libre.
Comme je venais de terminer une grande œuvre pour orchestre - Lac de Lune - j'avais envie à ce moment de composer une œuvre plus intimiste.

Depuis quelques années déjà, j'admirais les textes - poésies, essais, nouvelles - de mon ami
Christian Doumet, et je lui ai proposé de chercher une forme littéraire qui puisse répondre à mon projet musical. Il m'a donc écrit un très beau poème "sur mesure", poème tournant, en spirale, avec des retours variés de thèmes similaires, des imbrications, une sorte de construction en quinconces.
Ensuite, nous avons ré-organisé ce texte ensemble, déplaçant certains paragraphes, en supprimant d'autres (les écrivains écrivent toujours trop long pour les compositeurs...).

L'alternance des strophes m'a donné l'idée de faire intervenir deux chanteurs: un homme et une femme.
Autour d'eux, une formation instrumentale équilibrée quant aux rapports de timbres et de registres.
Le sens du texte m'a suggéré les différentes matières sonores:
- jeux rythmiques, stridences, effondrements pour évoquer l'aridité, la sécheresse de la terre, des pierres, de la guerre.
- lignes mélodiques dessinant l'infini des colonnes de réfugiés, les kilomètres de galeries et l'écoulement du temps.
- lyrisme harmonique enfin, pour exprimer l'amour, dernier espoir, si fragile...

I

Dans le petit village de Syrie où ma mère me fit traire les premières larmes de l'argile, aujourd'hui rôdent les chacals affamés.
Mille millions de migrants ! Exil qui chemine au bord des précipices ! Comme une muraille de Chine, on pourrait suivre depuis les astres ce caprice de grappes humaines effondré par endroit.
Mon amour, mon amour, rendez-vous ce soir sept heures Café Toujours. Mon amour, mon amour, ce soir à dix-neuf heures si Toujours existe encore, entre les ruines du Palais et les décombres de la Comédie.
Chenille d'exil, chenille d'extase ne cesse de croître. Quelques femmes portent encore sur la tête, dans des jarres de terre grasse, la fameuse, l'inoubliable fraîcheur.

II

Cette fois, la secousse vient des premiers déserts : entre Awob et Nossob, la rivière Eléphant baigne des rochers fendus par les bombardements, qui livrent à l'intérieur le dessin du pays riverain d'antan.
Attirés nostalgiques, vous y considérez le temps : c'est votre image et vous voulez y replonger.
Mon amour, mon amour aux aguets, vers le fleuve j'ai beaucoup bataillé. Les compagnies du vent dressaient leurs bannières en épaves. Bourrasques, beaucoup de bourrasques, peu de logique.
Personne à qui parler. Lorsqu'enfin j'arrivai au Café, tout n'était plus que cendres, que gravats.
Par là aussi, ils étaient passés. Je t'ai cherchée en vain. Nous aurions dû partir.

III

Mon amour, mon amour, je t'appelle à travers l'obscur tumulte de tout ce printemps massacré.
Toi aussi maintenant, comme la rivière Eléphant, tu chemines entre des fractures abruptes.
Combattants plus archaïques qu'une guerre de tribus. A pieux, à poings, à rien. A coup de tête.
S'en vont semer leurs semelles ferrées dans le sillon des envahisseurs.
Partout les abris sont creusés. Des kilomètres de galeries pour contenir les réfugiés. Là, par l'infini des haut-parleurs "merci de votre compréhension, dit une voix navrée, ... merci ... compréhension."

IV

Car désir est une guerre sans armes.
Des villes effondrées. Des cités, des hameaux. Des rues désertes, avec dedans, pour seule visitation, l'effondrement encore. Les églises d'anciens cultes, crevées par la voûte comme des squelettes de volaille. Dedans les visages lézardés de la pierre.

V

A présent la forteresse monde est tout en feu. Les artères vont paraître. Apaise-toi, beau visage.
De si loin, je t'espère. Apaise-toi. Regarde. Par les flammes je viens.
Le temps seulement de trouver un chemin. Encore un court moment. J'arrive. Le temps de traverser le dénuement. Beau visage, je suis serein. Je ne suis pas triste. Le temps de. Le temps de. Tu vois bien que j'approche malgré tout.
Les flammes sont plus hautes par ici. Profitons-en pour être mieux éclairés. Plus vigilants.
Le temps de. Le temps de et je serai à toi. Le temps de... Merci... Compréhension...